A propos de "Charlie Hebdo"

Mieux vaut en toute circonstance préférer le "dialogue" que choisir de passer en force, en imposant ses propres règles et usant de son pouvoir ! Le savant dont l’intelligence est débordante et le langage très technique ne doit-il pas tenir compte du public qu’il a devant lui s’il souhaite se faire comprendre et apprécier ? Le croyant dont la foi est solide et sincère ne doit-il pas éviter d’en témoigner comme si croire en Dieu relevait du bon sens ? Car que ressentiraient alors les indifférents et les athées ? Il se peut d’ailleurs que dans les sociétés où la religion détenait la norme, beaucoup de gens se soient sentis culpabilisés de ne pas croire. Aujourd’hui il ne faudrait pas que le désir de mainmise et de toute puissance s’inverse. Il ne faudrait pas qu’au pays de la liberté les uns imposent aux autres leur façon de concevoir la vie et, pis encore, s’autorisent à la tourner en dérision.

Certes, l’assassinat d’une grande partie de l’équipe de dessinateurs de "Charlie Hebdo" est un monstrueux forfait qui ne supporte aucune circonstance atténuante. Le crime exige une condamnation sans restriction. Mais le désir de liberté d’expression de ce journal m’invite moi-même à me sentir libre de dire mon désaccord avec les excès de dérision dont il use si souvent et en particulier vis-à-vis des religions. Personne ne dénie à ces "journalistes et dessinateurs" le droit de professer un athéisme absolu : "ni Dieu, ni maître". L’on peut s’étonner cependant que leur esprit libertaire plus que réellement "libre" semble les priver de la conscience du devoir de respecter les cultures et les croyances, blessées qu’elles sont par les caricatures qu’ils dessinent.

Je ressens dans leur persistance à poursuivre cette ligne éditorialiste une arrogance qui considère avec dédain les dégâts qu’elle produit ici et là-bas. Je vois même dans leur entreprise la mise en œuvre du rêve de toute puissance présent en tout être humain qui tend à s’imposer comme référence première de toutes les valeurs auxquelles on aspire tous. Ainsi la question devient : "Charlie Hebdo incarne-t-il la liberté, la vérité, la justice, la liberté, l’égalité, la fraternité ( ! ) telles qu’on souhaite les voir se hisser au rang de normes universelles" ?

Ma réponse à moi est non ! Ce n’est pas en tournant en dérision les convictions intimes des autres et à leur corps défendant que l’on témoigne le mieux des valeurs humanistes. Au fond, mon opposition à la dérision telle que ce journal en a fait son fonds de commerce, dont il ne semble vouloir ni pouvoir en changer, ne porte pas d’abord sur ses dessins et ses textes ironiques à l’égard de la religion chrétienne, mais surtout sur les blessures qu’il provoque à de nombreux êtres humains qui n’ont pas les capacités de faire la part des choses. Je me sens proche de ces gens nés dans une toute autre culture et adeptes d’une toute autre religion. Je me sens le devoir de réclamer qu’ils soient respectés dans leurs droits à la considération et ressens comme une insulte toute forme de dérision à l’égard de leurs convictions.

Ce qui ne me prive nullement du droit et même du devoir de souhaiter avoir avec eux un sincère et authentique dialogue des cultures et des rencontres interreligieuses. Il ne faudrait pas que ceux qui affirment que Dieu n’existe pas s’empressent de tenir "sa place". Je ne reconnais nullement en ces gens la légitimité à me dicter ce que je dois être ou non !