La « liberté », laquelle ?
Inimaginable et absolument inadmissible, l’assassinat d’un enseignant dont la vocation et la mission sont de transmettre des connaissances à des jeunes en train de bâtir leur avenir a suscité un débat ayant pour thème « la liberté de conscience et d’expression ». Dans le programme d’histoire-géographie, les professeurs doivent aborder la liberté d’exprimer en public ce que l’on pense en privé, dans le cadre de la laïcité qui constitue avec l’égalité et la fraternité l’un des repères qui définissent ensemble le vivre ensemble républicain.
Or j’ai été choqué par la manière dont certains affirmaient leur droit sans concession à la liberté individuelle qui ne mentionnait guère le droit qu’ont d’autres cultures à la concevoir autrement ! Il pourrait y avoir une façon de parler de la liberté en termes absolus et définitifs auxquels le monde entier, l’histoire singulière de chaque peuple n’aurait d’autre choix que de se soumettre sans mot dire… Or n’est-on pas dans une humanité plurielle qui demande de s’accueillir, de s’écouter, de ne pas sombrer dans la tentation de se croire le centre de toute authentique vision de la liberté et le détenteur exclusif de sa bonne pratique ?
Avoir bénéficié du siècle de la Raison et des Lumières donnerait-il à notre nation le droit absolu d’imposer à tous les peuples une conception de la liberté enracinée dans un déploiement de la laïcité qui réclame une neutralité totale dans les espaces publics et demande à tout croyant de ne cultiver et surtout manifester sa foi que dans la sphère privée ? La liberté de penser et de s’exprimer ne s’enrichit-elle qu’à cette condition de commencer par interdire tout questionnement public sur Dieu et les grandes interrogations qui viennent naturellement et très tôt dans les esprits juvéniles ? N’est-ce pas le pire moyen que d’ignorer ces terrains laissés en friche en éloignant la Raison et les connaissances et risquer que ce qui est occulté en classe soit investi dans les familles pas toujours bien informées en vérité et parfois même déformées et manipulées par des courants idéologiques et, pire encore, fanatiques ? Quel intérêt a réellement une société de considérer l’interrogation sur Dieu comme un tabou ?
J’ai bien conscience, dans ces quelques propos, d’emprunter le remonte-pente de la pensée dominante à propos de la laïcité républicaine. Et si la laïcité s’affranchissait elle-meme et allait jusqu’à expliquer les conceptions religieuses et leur évolution au cours de l’histoire ! L’école laïque me semble détenir les moyens pédagogiques et une longue expérience de transmission objective pour faire connaître, sans se faire déborder et loin de toute propagande, les religions et ce qu’elles proposent. A force de méconnaître le contenu de leur foi religieuse, des jeunes non armés ni instruits peuvent être instrumentalisés par des gourous de toute espèce. La laïcité à la française, sans renoncer à ses valeurs, ne pourrait-elle envisager d’inclure les phénomènes historiques des religions ?
Ce que je propose là est, je le sais, assez souvent souhaité, mais pourquoi n’ose-t-on pas réellement le mettre en œuvre ? Les jeunes immigrés qui viennent recevoir les « savoirs » en notre Patrie confient parfois leur étonnement que Dieu et tout ce qu’il nous a confié de gérer, de développer et d’améliorer soit si peu évoqué et exploré… Ne peut-on envisager une vraie réconciliation entre la Foi et la Raison, dont le pape Benoît XVI a si bien parlé dans son éclairante et bienfaisante encyclique Fides et Ratio ? Pourquoi l’Education Nationale, qui prétend avec raison « activer » toutes les capacités cognitives des jeunes citoyens, ne pourrait-elle relever ce beau et enrichissant défi ? A force de reléguer les besoins humains d’un rapport sain à la transcendance et les comportements religieux qu’il génère dans l’espace « privatif », une société entièrement « sécularisée » ne se met-elle pas en danger d’étouffement ?