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Les billets du Père Lucien Marguet
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14 septembre 2020

24ème Dimanche du temps ordinaire (Année A)

 

13 septembre 2020

Ben Sirac 27 30 28 7 - Romains 14 7-9 - Matthieu 18 21-35

 

Vous avez peut-être retenu ces mots de la Bible que nous venons d’entendre : « Renonce à toute haine, ne garde pas de rancune envers ton prochain, pense à l’alliance du Très-Haut et oublie l’erreur de ton prochain. » Et dans l’Evangile lui-même : « Pardonner jusqu’à 70 fois 7 fois ». Et la conclusion : « Dieu votre Père nous pardonnera à la mesure de ce que nous aurons pardonné nous-mêmes ». Nous sommes là au cœur de la foi chrétienne, dans ce qu’elle nous dit du rapport à l’autre, aux autres, à tous les hommes, si différents ou hostiles qu’ils soient.

On pourrait s’étonner de voir l’importance que le Christ attache au pardon. Les relations humaines sont sa préoccupation constante, au point que le chrétien ne saurait avoir de bonnes relations avec Dieu s’il n’y a pas chez lui de bonnes relations avec ceux que Dieu nous donne comme frères. Il suffit de lire le Magnificat de Marie ou les Béatitudes pour remarquer combien la douceur, l’humilité, la justice, la miséricorde, la charité et la pureté du cœur sont les vertus qui encadrent notre route vers Dieu.

Ce n’est pas étonnant à y réfléchir, car le pardon c’est l’autre nom de l’amour. Laisser libre cours à la méfiance et à la haine conduit à la violence, aux multiples racismes dont on nous parle trop souvent aux actualités télévisées. Haines entre peuples, haine entre populations, haines entre groupes sociaux, haines entre familles, haine dans une famille, voire dans un couple, et voilà une logique de mort qui mine l’équilibre et la paix dans le monde, comme dans une famille ou dans l’Eglise. Et cela passe, vous le savez, par des relations très quotidiennes, par des détails où s’insinuent les méfiances et les peurs. Maîtriser sa colère et ses rancoeurs, c’est donner à l’autre le droit d’être un homme, un être qui a droit à notre respect et à notre amour. Avant d’être un sentiment, l’amour est un certain regard sur l’autre, une attente de le rencontrer comme un compagnon de voyage, comme un frère de salut qui nous apprendra qui il est et par là nous éveillera à la bienveillance et à l’amitié. En d’autres termes, à découvrir en lui le meilleur, ce par quoi il ressemble au Créateur, ce par quoi il est pour nous un frère. Grâce à Dieu.

J’ai bien conscience qu’à propos du pardon il existe des différences de choses à pardonner au regard des conséquences minimes ou graves des méfaits commis. Il m’est peut-être facile de recommander à d’autres de pardonner si moi-même je ne suis pas concerné. Il existe un immense écart entre le petit pardon prononcé de façon banale dans le quotidien pour s’excuser d’une parole ou d’un geste maladroits et le pardon que l’on demande au peuple tutsi rwandais d’accorder en bloc à ses tueurs génocidaires… Car nul ne peut gracier des coupables de meurtres prémédités et organisés à la place de ceux et celles qui en ont été victimes. N’y aurait-il pas comme une immense injustice à minimiser ainsi ces événements violents, et comme une incitation à les effacer d’un coup de chiffon sur le tableau, quand tout un peuple a été programmé à disparaitre en raison de son identité qui pourrait alors se prétendre qualifiée pour « absoudre » les génocidaires au nom de toutes les victimes, des nombreuses familles amputées de beaucoup de leurs membres ? Entre un génocide programmé aux conséquences si désastreuses pour tout un peuple et les heurts au quotidien entre des personnes, il existe des différences !

Car si une personne s’est rendue coupable de mauvaises choses, de paroles mensongères ciblées sur moi, alors je peux, moi, surmonter les blessures et donner une chance à cette personne identifiée, lui donner cette double chance de regretter et de changer, en ne la capturant pas dans le comportement mauvais qui a été le sien. Certaines personnes victimes de gens mal intentionnés avouent hésiter à accorder leur pardon car elles se sentent incapables d’oublier ce mal qui leur a été fait, et encore plus difficilement lorsqu’il s’agit de leurs enfants ou d’êtres chers. On entend objecter parfois qu’il est difficile d’oublier le mal et donc de le pardonner.

Faut-il le redire ? Pardonner n’exige pas d’oublier ce qui s’est passé et ce que l’on a subi de souffrances ! Au contraire, le choix de pardonner doit garder en mémoire la réalité des faits qui ont blessé, car c’est ce mal à qui on choisit de retirer le qualificatif de « rupture » et « fermeture ». Ce qui s’est passé de cruel est comme dépassé et enjambé, et remplacé par un renouveau de confiance ouvrant à la poursuite d’une relation clairvoyante et lucide, mais réaffirmée. Pardonner n’exige pas d’oublier, mais de ne pas se laisser enfermer soi-même dans une blessure dont on a été victime !

Il faut le dire aussi, pardonner n’est pas soustraire le méchant aux regrets de sa conduite ni à ses devoirs de réparer s’il en a les moyens ! Or comment peut-il montrer qu’il a mesuré la gravité de ses paroles et de ses actes, sinon par des attitudes qui montrent vraiment qu’il choisit de changer de comportement ? Ainsi ce mal commis et reconnu, identifié, n’aura pas que détruit, il deviendra un signe qui rend conscient de ses limites et faiblesses et invite à la vigilance sur soi-même, ainsi qu’à développer l’attention et même un respect accru porté à la dignité humaine des personnes et des groupes.

Durant toute une période, des autorités civiles, au nom du peuple qu’elles gouvernent, ont prononcé, à propos de colonisation, d’esclavage, d’exploitation et de guerres menées dans le passé, des discours de « repentance » et exprimé des demandes de pardon d’avoir blessé, détruit, méprisé et même tué… En vue de guérir ces liens tragiques et d’en établir de nouveaux plus assainis, ces démarches officielles ont été et demeurent salutaires. J’y mettrais cependant la condition que ces discours de paix n’occultent jamais les horreurs commises et annoncent toujours des promesses réelles d’améliorer le monde de demain !

Je pense aux génocides juif, arménien, rwandais, mais aussi aux attentats terroristes qui non seulement ont assassiné des citoyens, mais qui visaient aussi la liberté de conscience et la culture démocratique. Entendons le Décalogue : « tu ne tueras pas ». Combien de fois faut-il pardonner ? », demande Pierre à Jésus. « Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois. » C’est-à-dire 490 fois… Pardonner n’est pas le propre des chrétiens, mais il en est l’une des marques essentielles. « Père, pardonne-leur », est une des dernières paroles de Jésus sur la Croix.

Le pardon oui, mais pas sans explication ni réparation, ni regrets ni désir de s’améliorer !

 

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