Décider de jeûner...

Les quarante ans passés par les Hébreux à leur sortie d'Egypte en plein désert sont un temps voué à la reconstruction de leur Peuple désarticulé et démantelé. Quarante ans pour reconquérir une autonomie, une identité et une liberté. Le Carême, en quarante jours, se propose d'être dans la vie de chacun l'opportunité d'une reconquête de liberté et d'identité. Cela passe par le jeûne, la prière et le partage.

 Jeûner, c'est choisir de se priver de certaines habitudes et en même temps accéder à d'autres qui peuvent paraître plus profitables à la dignité. Jeûner de tous les excès, appelés à être davantage maîtrisés. Car chacun peut être devenu dépendant et soumis à telle ou telle pratique alimentaire, à telle coutume ou pensée assujettie et endormie. On peut aussi jeûner de ses préjugés, de ses idées toutes faites qui nous ont fait remettre à d'autres le pilotage de nos choix, de nos décisions, de nos actes et de nos comportements. Aussi, jeûner c'est reconquérir notre liberté de conscience et la responsabilité de la conduite de notre vie.

 Qui inscrit le jeûne au programme de sa vie se rend plus attentif et disponible aux autres. Le jeûne rejoint alors le désir de prier et de partager, il offre des retrouvailles avec le pivot et l'essentiel d'une vie. En permettant de décrocher de façons d'être et de posséder dont on a perdu le contrôle, le jeûne permet de se réapproprier la maîtrise de ses pensées et de ses comportements, et de se recentrer sur l'essentiel en marginalisant ce qui avant occupait la première place.

 Le temps du Carême peut donner à chaque chrétien de s'approprier la phrase de Jésus "Ma vie nul ne la prend, mais c'est moi qui la donne". Cette impression d'être pris par la vie et emporté par le temps, de ne plus avoir les capacités de choisir et décider, de ne plus avoir les moyens d'opposer ni résistance ni refus, de ne pas avoir le choix, qui n'en a fait parfois la lourde expérience ? Le Carême peut être cette période où l'on dit non aux diktats de la société qui nous conduit par le bout du nez et nous impose les conditions de ses canons si nous voulons prétendre à faire valoir nos droits à vivre. Jeûner, c'est donc opposer une fin de non recevoir à tout ce que l'on veut nous faire ingurgiter et nous faire digérer, sans que nous bronchions et ce en tout domaine.

 Comme les Hébreux pendant 40 ans et Jésus pendant 40 jours au désert, nous sommes tentés de renoncer à l'aventure, semblant tellement impossible, de gagner en humanité… Mais voilà que l'Esprit souffle dans les consciences et ranime la braise de la liberté qui donne le goût d'une vie claire et authentique, d'une vie décontaminée des faux-semblants, des surplus, des artifices, des parasites, du surpoids qui l'encombrent…