"Des hommes et des dieux"…
L'on peut se demander pourquoi le film "Des
hommes et des dieux", qui met en scène la vie et la mort de sept moines de
Tibhirine dans l'Atlas algérien, réalisé par Xavier Beauvois, rencontre un
succès aussi phénoménal en plein siècle qualifié de matérialiste. Cette faveur
ne ressemble-t-elle pas au rayon de soleil qui, dans un ciel chargé de sombres
nuages, se faufile et devient remarquable preuve que le soleil existe encore ?
Dans un monde où l'humanité satisfait à ses instincts
et se soumet aux passions les plus primaires, dans un monde où il est habituel
de tout traiter sur le ton de la dérision et de passer toute vérité au crible
du scepticisme, dans un monde où le doute et le relativisme ont pignon sur rue
et font passer les gens qui croient en la vérité pour des naïfs et même des
demeurés, dans un monde où la distraction est plus fébrilement recherchée que
l'action et l'implication, dans un monde où l'hédonisme est la quête prioritaire
de la vie dans toutes les occasions de loisirs, un peu à l'image de la
civilisation de la cueillette qui consiste à ramasser escargots, champignons,
jonquilles et muguet sauvage que la nature met à la disposition de qui les
trouve…, dans cette société où chacun est considéré comme un consommateur de produits
alimentaires ou d'idées…, il est de fait étonnant que le film "Des hommes
et des dieux" ait un tel succès.
Mais faut-il s'étonner ou comprendre au contraire que
c'est la pesanteur du contexte culturel dans lequel nous baignons qui fait que
l'homme contemporain est immédiatement séduit par la découverte d'un monde
exactement inverse de celui qu'il subit ? Car enfin, de quoi témoignent ces
sept moines par leur vie qui nous est montrée durant une heure et demie ? Ils
s'efforcent de rendre leur vie cohérente avec leur foi et leur engagement. A la
suite du Christ qui a choisi d'habiter la condition humaine, ces sept moines
ont choisi de se lier à un peuple jusqu'à y laisser leur vie, dans une logique
de fidélité et d'amour. Comme le Christ dont ils sont les disciples, ils ont
résisté à la pression des autorités et de la peur intérieure. Après avoir
mûrement réfléchi, ils ont pris le risque de mourir plutôt que de sauver leur
vie en trahissant leur promesse. Comme le Christ qui n'avait aucun intérêt ni
partisan ni financier à être et à faire ce qu'a été sa vie en humanité, ainsi
ces sept moines voués à la prière, à la présence silencieuse et à la fraternité
ont accompli jusqu'au bout leur vocation.
Ces hommes n'avaient nullement dans l'idée de convaincre
ou de faire des adeptes, de conquérir des partisans. Ils ont tout fait par la
grâce dont eux-mêmes bénéficiaient les premiers : ce don de Dieu, leur vie a
consisté à le restituer aux gens au milieu desquels ils ont vécu jusqu'au bout.
Ce fut leur mission. Ils l'ont pleinement réussie. Peut-être que c'est cela qui
intrigue et fascine tant de spectateurs !