Faut-il entretenir les églises ?

Chaque bourg et village de France possède une église dont la conservation et l'entretien sont, à la suite des lois de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, à la charge des communes. Cette mission a un coût financier d'autant plus élevé que ces édifices d'année en année plus âgés sont éprouvés du fait des aléas climatiques - pluies, tornades, gelées… Ici c'est une voûte qui menace de s'écrouler du fait de l'humidité. Là c'est une grosse racine d'arbre bordant l'église qui s'est glissée sous un mur et menace de le faire tomber. Dans cette modeste et magnifique église, le toit est troué et les pigeons ont élu domicile. Là, l'électricité est un danger, ici les vitraux déplombés et pourtant si chatoyants donnent des signes de faiblesse.

 L'entretien des églises est la hantise des conseils municipaux. Les demandes de réparations urgentes ou un simple planning d'entretien génèrent parfois de violentes discussions et des réflexions emportées ! Il arrive que l'on en rapporte des échantillons au curé, que certains soupçonnent d'ignorer le montant des devis ou des factures immobilières à régler par les communes. On croit que le curé ne peut avoir d'autre position que celle de réclamer des travaux dans toutes les églises, alors qu'en fait il sait les contraintes budgétaires des communes et l'arbitrage obligé auquel les conseils sont soumis. Cette année, vers quelle priorité allons-nous nous orienter : les chemins municipaux, la création d'une nouvelle école, une salle polyvalente, le curage des ruisseaux, la réfection des trottoirs du village, l'installation de réserves d'eau en cas d'incendie, la création de collecteurs d'eaux usées… et tant d'autres besoins encore ?...

 Aussi, quand vient le moment d'évoquer des travaux sur l'église du village, on entend divers points de vue s'exprimer : "Pourquoi dépenser l'argent pour un édifice utilisé si rarement ? Il n'y a qu'à le raser, et on sera tranquille", dit l'un. Et un autre de lancer cette boutade : "Si on répare l'église, on ne pourra plus se payer le champagne au 14 juillet"… D'autres, souvent minoritaires et à la voix plus sourde, osent alors dire que l'église appartient à la commune et que cela est un de ses devoirs de l'entretenir. L'église témoigne de l'histoire collective du village. Elle est le lieu sensible de tant de cérémonies familiales et rappelle tant d'événements célébrés. Souvent l'église est au village l'édifice le plus artistique par son architecture, ses sculptures, ses vitraux, son clocher. Ce lieu est cultuel, mais aussi culturel. Il fait partie du patrimoine. Ne revient-il pas à nos générations actuelles le devoir de s'en occuper, parfois de la restaurer et même de l'améliorer dans la logique des raisons qu'avaient les fondateurs de la faire exister ?

Et dans une maison, ne sommes-nous fiers que des choses utiles ? N'avons-nous pas des objets à regarder tels des tableaux, des meubles hérités, ne sommes-nous pas sensibles aux fleurs, à tout ce qui est beau ?

 Enfin puis-je encore ajouter cette remarque : comment voir une cohérence dans la pensée de ceux qui préconisent de raser les églises, quand ceux-ci sont des adeptes frénétiques des vide-greniers, fiers de l'arbre généalogique de leur famille, empressés à montrer les malles remplies de souvenirs à leurs petits-enfants, férus d'histoire locale, amateurs de meubles anciens dont ils connaissent le vécu… Dans une époque assez inquiète de son avenir, est-ce le moment de rejeter tout ce qui fait trace de son passé ? Il me semble que ce serait pour le moins imprudent, en particulier à l'égard des générations qui arrivent. Ce n'est sans doute pas la mémoire électronique des ordinateurs qui va remplacer les souvenirs dont témoignent les édifices religieux des plus modestes aux plus prestigieux de nos villages. Alors, arrangeons-nous pour les "conserver", quelles que soient nos convictions…