Effacer les traces de Dieu, c'est compromettre l'avenir de l'homme

Restez...

L'ordre des Jésuites compte de nombreux intellectuels et les plus lucides philosophes, biblistes et théologiens sur qui l'Eglise peut compter pour expliciter et habiliter la foi chrétienne. L'un d'entre eux, Joseph Moingt (96 ans), est l'auteur de nombreux ouvrages dont le dernier, paru en 2010 ("Croire quand même", éd. Temps Présent);dit aux croyants tentés de quitter l'Eglise : "Restez".

Selon ce Jésuite à la science aussi large qu'est longue son expérience, l'Eglise traverse la crise la plus grave que le christianisme ait connue depuis deux millénaires, parce qu'il s'agit d'une crise de civilisation. "Notre monde est en passe de rejeter Dieu", résume-t-il en citant Dietrich Bonhoeffer qui, avant de mourir dans sa prison nazie, percevait le monde "en train de se libérer de l'idée de Dieu". "J'ai grand peur qu'un nombre croissant de fidèles ne veuillent que des réponses par oui ou par non et ne puissent entrer dans les subtilités théologiques", résume-t-il.

 Comment dire l'humanité du Christ s'il est né d'une femme vierge ? Comment expliquer la Trinité ? Comment parler de la Révélation, de l'Incarnation, de la Rédemption, si l'on considère que les textes de l'Ancien Testament ne sont que des récits inventés ? Comment prononcer à chaque Eucharistie "Ceci est mon Corps" s'il s'agit d'une métaphore ? Sur quoi fonder le sacerdoce alors qu'aucun des Apôtres n'a été fait prêtre ou évêque par Jésus ? Autant de questions complexes qui demandent des réponses approfondies et prudentes qui occupent l'esprit du théologien depuis plus de soixante ans.

 Le Père Moingt a enseigné longtemps dans des facultés catholiques, mais il a aussi fréquenté des communautés chrétiennes de base, du catéchuménat et des Paroisses telles que Chatenay-Malabry, Poissy, Sarcelles. Il s'agissait de "laïcs fréquentant l'Eucharistie, mais ayant besoin de se retrouver hors de leur paroisse pour des partages d'Evangile ou de relecture de vie". Des laïcs de plus en plus formés qui ressentent "qu'être chrétien n'est pas autre chose que d'être homme et qui prennent la responsabilité de leur être chrétien en prenant la responsabilité du destin de l'humanité". Car pour le Père Moingt, ce n'est pas en se focalisant sur l'institution ecclésiale que l'on pourra mener une réforme radicale du catholicisme, mais en revenant à l'Evangile. "Il y a urgence à repenser toute la foi chrétienne pour dire : "Jésus-Christ vrai Dieu et vrai Homme" dans le langage d'aujourd'hui et en continuité avec la Tradition".

 L'Eglise ne peut se contenter d'affirmations dogmatiques. Dans un monde de plus en plus sécularisé, y compris dans les théocraties musulmanes qui s'effondrent et mettent le cap sur la démocratie, les traces de Dieu s'estompent de fait ou par décision politique. Le matérialisme consumériste avec l'argent pour moteur ampute dangereusement les humains de leur recherche spirituelle. Après avoir effacé Dieu des repères de la société, l'homme oublie jusqu'à son existence et ses lois. Les droits de l'homme appuyés sur les lois de Dieu perdent leur légitimité auprès de Dieu qui les garantissait. L'homme se fait inventeur des lois, des droits, des devoirs qui lui conviennent. Or ce processus se déroule là où le Moi individuel à dérive égoïste incite chacun à se faire centre du Monde.

 Nier Dieu et remettre tout pouvoir à la seule conscience de l'homme apparaît une impasse. Quand Dieu est mis de côté, ce n'est pas tant lui qui est en grand danger que l'Homme et l'Humanité. Assurer la possibilité de croire, c'est assurer l'Avenir pour tous. Chrétiens tentés d'abandonner Dieu, restez… pour Lui et pour nous !...

 P.S. J'ai commencé à rédiger ce texte à partir d'un article paru dans la Croix les 14 et 15 janvier 2012.