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Les billets du Père Lucien Marguet
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8 mars 2013

La terre humaine

Il y a 60 ans…, j'ai commencé à expérimenter la "terre humaine" dans un bidonville connu de Reims appelé "le Maroc". Coincés entre deux voies de chemin de fer, des gens du voyage plus ou moins sédentarisés y avaient installé leur caravane, souvent délabrée. Des gens sans logement et sans emploi y construisaient aussi des baraques au moyen de matériaux de récupération trouvés dans les décharges d'entreprises ou des poubelles de trottoirs. Il n'y avait au début ni eau ni électricité sur ce terrain vague. Ce terrain devenait boueux à la moindre pluie et en hiver il était lacéré d'ornières profondes. J'aimais contacter ces familles qui, peu à peu, m'avaient adopté.

 Durant la belle saison, tout le monde vivait dehors. On se retrouvait parfois autour d'un feu de bois amassé par les uns et les autres et mis en commun. Plusieurs années après cette vie de bidonville, des jeunes relogés en ville m'ont confié combien ils regrettaient ces moments de convivialité sur le terrain du Maroc ! En effet, il était impensable et impossible de vivre chacun dans son coin. Tous étaient logés à la même enseigne, obligés de tenir compte les uns des autres en des relations parfois fraternelles et parfois violemment conflictuelles. Leur humanité ne pouvait qu'être vraie, dépourvue de faux semblant et de dissimulation.

 J'étais alors séminariste. Je n'avais rien à leur donner que ma présence et mon estime. A partir de ces liens humains, nous avons pu créer une bibliothèque, plusieurs séjours de colonies de vacances dans les Vosges… Nous avons surtout demandé au fondateur de Aide à Toute Détresse, le Père Joseph Wresinski, de nous aider à créer une antenne de ce mouvement qui vise à donner aux plus pauvres l'entière maîtrise de leur promotion.

 Cette humanité dépouillée, dénuée d'arrière-pensée et d'artifices, que l'on peut qualifier de vraie et d'authentique, je l'ai retrouvée des années plus tard en Afrique où j'ai passé sept ans dans les zones de savane du Nord-Cameroun. La région est enchanteresse pour les touristes, dangereuse pour les habitants. La très faible pluviométrie, la menace constante de sécheresse entraînent des famines, le manque de prévention conduit à des épidémies de toute sorte, les travaux des champs sont extrêmement durs car effectués à la main sans mécanisation, la culture intensive du coton se traduit par un appauvrissement des terres arables… Même avec un courage inouï et une détermination débordante, il est très difficile d'envisager un réel développement agricole et social. Là encore, j'ai retrouvé des gens dont l'humanité était naturelle, sincère et sans distance. J'ai vécu des moments inoubliables avec ces gens pourtant si différents de moi, le blanc, par les coutumes, la culture, les convictions. Je me suis senti, comme au Petit Maroc à Reims, proche et fraternellement adopté.

 Que de moments indélébiles vécus face aux blessures de toute nature, parmi lesquelles la maladie brutale et incurable est certainement celle qui provoque le plus de souffrances. A Reims comme dans la savane du Nord-Cameroun, j'ai vu des gens pauvres, démunis mais généreux, spontanés et bons, sans calculatrice dans la tête et ouverts. C'est ce que j'appelle de "belles terres humaines"…

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Commentaires
D
très beau et émouvant
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