Un petit air de gratuité

Parmi toutes les raisons de la diminution et même de la disparition de la ferveur religieuse, de l’accroissement du nombre de gens « indifférents » à la foi, n’y a-t-il pas d’abord une pression considérable de la culture d’efficacité, d’immédiateté, d’utilité, que les temps qualifiés de modernes nous obligent à respirer tous les jours ? Ne juge-t-on pas parfois comme allant de soi le droit de bénéficier et en même temps le droit individuel de choisir ses devoirs selon ses désirs ?

Prenons l’exemple des liens familiaux. Il me semble que la conscience qu’ont parfois certains enfants de leur origine est comme oubliée. Ainsi sont-ils enclins à moins développer en eux de la reconnaissance et de la gratitude à l’égard de leurs parents géniteurs et acteurs de tous les grands passages qu’ils leur ont permis de franchir, de toutes les transmissions, connaissances, valeurs humaines, convictions concrètement partagées. Tous les parents confectionnent par leur vie quotidienne, leurs paroles et leurs actes, un véritable trousseau personnel à chacun de leurs enfants. Certes ce « paquetage pour la vie » devra s’élargir et s’accroître selon les opportunités et la volonté des enfants qui l’ont reçu !

Ils n’auraient pas raison, ces enfants, de gaspiller cet héritage moral de départ. Ils auraient pleinement raison d’y ajouter les fruits de l’exercice de leurs propres talents, de leur curiosité et de leur générosité. Bénéficiaires de tout ce qu’ils ont reçu, les enfants sont peu à peu appelés à « donner, transmettre, offrir et partager » à leur tour ! Car c’est à la condition d’accéder à cette étape de leur existence qu’ils deviendront « adultes confirmés ».

Or ne peut-on constater que beaucoup demeurent des « demandeurs » et même des quémandeurs, les yeux et le cœur fixés sur ce qu’ils appellent leurs droits, jusqu’à omettre d’accomplir leurs « devoirs » avec la même persévérance qu’ils ont à faire valoir leurs droits ! Je pense que cultiver en nos vies le sens de la gratuité, de la fraternité, du bénévolat, de la reconnaissance et du merci, de l’admiration et de la contemplation, du silence et de l’écoute attentive et sans interruption de l’autre… nous prédispose à une vie qui sait accueillir et recueillir, intérioriser ce qu’elle entend, reçoit et perçoit, jusqu’à devenir apte à discerner ce qui nous est donné de bon, de beau, de vrai, de juste, pour le transformer en miel de notre vie et en contenu de notre prière de reconnaissance à l’égard des autres et de Dieu qui en est à l’origine. Ce retour vers les autres s’effectue dans les relations faites de gratitude et de reconnaissance.

Ce logiciel de la gratuité, chacun n’est-il pas invité à l’activer dans sa propre vie ? Ce choix exige d’avoir en tête que l’on ne peut progresser seulement sous l’inspiration d’une culture marquée par le rentable, le profitable, le monnayable… La foi chrétienne se nourrit de confiance et d’Espérance, d’amour gracieux. Dieu en effet n’est pas « utile » et pas davantage utilisable. Il est Tout-Puissant, mais seulement d’Amour.